La Parade
Plutôt courageux, le cinéaste serbe Srdjan Dragojevic a passé trois ans à réaliser ce film pourtant indispensable, bravant les menaces proférées à son encontre par les nationalistes et les néonazis «outrés» par le thème «scandaleux» de son quatrième long-métrage.
Pour sauver son pitbull chéri et satisfaire un caprice de sa fiancée, Lemon, parrain redouté de la mafia belgradoise, accepte d’assurer la sécurité de la toute première Gay Pride jamais organisée en Serbie, un pays en proie à une homophobie hélas très tenace.
Chargé de cette mission explosive, Lemon embarque dans une Mini rose bonbon pour enrôler d’anciens mercenaires de l’ex-Yougoslavie, des ennemis de toujours, guère en sympathie avec la cause gay… Partant, le réalisateur du déjà très remarqué «Joli village, jolie flamme» (1996) délivre à la façon des «Sept Mercenaires» une comédie grinçante qui brocarde avec férocité l’intolérance crasse.
Vincent Adatte
Sugar Man
Au début des années septante, un jeune chanteur américain d’origine mexicaine sort deux albums rebelles de «soul music» à tomber par terre, mais qui essuient un gros échec commercial. Peu après, Sixto Rodriguez se volatilise. Certains prétendent qu’il se serait suicidé sur scène…
Mais l’histoire ne s’arrête pas là… Par hasard, ses chansons «débarquent» en Afrique du Sud, au temps de l’apartheid (dans la valise d’une Américaine selon la légende). Evoquant le sexe, la drogue et la corruption, elles sont vite adulées par une population noire qui les considère comme des appels à la liberté… Et Sixto Rodriguez de devenir là-bas un véritable mythe!
Dans son beau documentaire, Malik Bendjelloul retrace l’enquête de deux de ses fans sud-africains qui sont partis à sa recherche, à la fin des années nonante. Tenaces, ils finissent par le retrouver à Detroit, bien vivant, bossant comme simple ouvrier sur des chantiers. Ils le persuadent alors de venir en Afrique du Sud pour y donner un concert…
Adeline Stern
Paulette
Allant régulièrement à confesse, bien qu’elle déplore que le curé soit un noir, Paulette vit seule et endettée dans un HLM d’une cité de la banlieue parisienne. Méchante comme une teigne, cette veuve très peu amène doit se résoudre à faire les poubelles pour compléter sa retraite rachitique.
Menacée de saisie, elle trouve un moyen miraculeux de s’en sortir, le jour où un gros paquet de hasch lui tombe littéralement du ciel. Après avoir potassé le guide du «Deal pour les nuls», elle va mettre à profit ses talents de cuisinière pour mitonner des «space cakes» qui font faire planer tous les jeunes de la cité.
Se révélant plutôt douée pour ce genre de commerce, la mamie gâteau va aussi abandonner quelques préjugés en côtoyant un milieu guère jouasse que le film décrit sans fard. Dans le rôle de la vieille dame indigne, Bernadette Lafont s’en donne à cœur joie, impulsant à cette comédie très grinçante sa gouaille à nulle autre pareille!
Vincent Adatte
Tapage nocturne
Dimanche 24 février à 17h30, le film sera projeté en présence du réalisateur puis suivi d’une discussion et du verre de l’amitié.
Le cinéaste zurichois Christoph Schaub est l’un des rares cinéastes suisses à exceller dans le genre casse-gueule de la comédie de mœurs. A fort bon escient, le réalisateur de «Jeune homme» (2006) a reconduit la collaboration avec l’écrivain Martin Suter dont l’habileté scénaristique avait fait merveille en 2009 sur «La Disparition de Giulia».
Neuvième long-métrage de son auteur, «Tapage Nocturne» («Nachtlärm») présente la même verve d’écriture, en plus noir et grinçant… Parents trentenaires de Tim, un bébé de quelques mois, Livia et Marco voient leur vie de couple bouleversée.
A chaque fois que papa et maman tentent de rallumer leur flamme amoureuse, l’adorable poupon se met à pleurer. Ils sont alors obligés de l’embarquer dans leur vieille Golf et de rouler sur l’autoroute, le temps qu’il s’endorme enfin, bercé par le ronron du moteur tournant à plein régime! Une nuit, alors qu’ils s’arrêtent à une station-service, Livia et Marco laissent leur voiture sans surveillance, avec le bébé à l’intérieur…
Adeline Stern
Max
Max (Shana Castera) est une fillette qui vit avec son père Toni (JoeyStarr), un voyou minable, mais au très grand cœur. Pour Noël, cette petiote de six ans se met en tête de donner en cadeau à son papa une dame dont le métier est de « s’occuper des bonshommes » qu’elle a rencontrée au cours d’une énième fugue. En toute innocence, Max rêve d’en faire sa maman.
Vivotant d’expédients et de petites combines fomentées avec son vieil acolyte Nick (Jean-Pierre Marielle), Toni se sent forcé d’accepter le présent très particulier de sa petite fille et décide donc de cohabiter avec Rose (Mathilde Seignier), histoire de recomposer une petite famille le temps des fêtes.
Bien sûr, les deux protagonistes contraints de ce jeu de rôles ne vont pas tarder à se découvrir des affinités très électives et bientôt irrésistibles… Une comédie tendre et insolente, en forme de conte de Noël inédit, signée par Stéphanie Murat, la réalisatrice de «Rose et Nina» et de «Victoire».
Vincent Adatte
The Master
Après le démesuré «There Will Be Blood» (2007), Paul Thomas Anderson récidive avec un film tout aussi ambitieux, où il s’attaque à un autre pan de l’Histoire étasunienne, à savoir la naissance de l’Eglise de scientologie, au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Dédaignant la simple reconstitution à charge, le réalisateur traite son sujet par un biais d’une richesse interprétative assez inouïe… Démobilisé, Freddie Quell (Joaquin Phœnix) est un marine souffrant d’alcoolisme et de troubles du comportement. Il fait alors la connaissance de Lancaster Todd (Philip Seymour Hoffmann), gourou d’une mystérieuse Cause, qui dispense ses enseignements aberrants à une petite communauté admirative.
Nouant une relation ambiguë, le charlatan tente de contrôler son disciple désaxé. Mais celui-ci n’a de cesse de se dérober à cette stratégie d’asservissement, malgré toute la fascination qu’il éprouve pour le «Maître»… L’un des grands films de la décennie, pas moins!
Vincent Adatte
Chasing Mavericks
Inspirée d’une histoire vraie, ce «biopic» spectaculaire raconte comment le jeune Jay Moriarty entreprit à l’âge de quinze ans de surfer sur l’une des vagues les plus redoutables de l’océan Pacifique. Haute comme une maison de trois étages, cette «big wave» légendaire vient parfois déferler sur une plage de Californie du nord, selon le bon vouloir du vent et des marées!
Habitant à deux pas du mythique spot de Mavericks, où se forme parfois cette vague indomptable, Jay (Jonny Weston) persuade Frosty Hesson (Gerard Butler), un vétéran du surf, de l’aider à réaliser son rêve d’adolescent, d’autant qu’il ne trouve guère de soutien auprès de sa mère (Elisabeth Shue) plutôt larguée…
Commencé par le cinéaste Curtis Hanson, le tournage de cette ode à un sport insensé, originaire de Polynésie, a dû être terminé par Michael Apted («Le monde ne suffit pas», «Gorilles dans la brume»), suite à un accident dont fut victime le réalisateur de «L.A. Confidential».
Adeline Stern
War Witch (Rebelle)
Quelque part en Afrique, dans un petit village bricolé avec des bâches récupérées, une jeune fille de douze ans est arrachée à sa famille par les rebelles. Elle s’appelle Komona et va devenir une guerrière à la solde du Grand Tigre Royal. Voyante, elle communique avec les fantômes des tués et est bientôt élevée au rang de sorcière, entretenant l’illusion de la victoire et du courage.
Tombée amoureuse du Magicien, un jeune garçon albinos qui sait tout de l’art des grigris, Komona va chercher à fuir avec lui… Magique et amer, porté par la jeune Rachel Mwanza, dont l’interprétation lui a valu un Ours d’argent l’année dernière à Berlin, le film du réalisateur canadien Kim Nguyen restitue à leur hauteur le destin guère enviable des enfants-soldats…
Le cinéaste s’abstient de juger et évite tout sensationnalisme, laissant le spectateur libre de son opinion, quoique gagné par l’inquiétude devant un tel chaos, hélas bien réel. Entre magie, poésie et désir impérieux de résilience, un film dont on sort différent!
Adeline Stern
Le Monde de Nemo (3D)
Oscar du meilleur film d’animation en 2003, «Le monde de Nemo» fête ses dix ans avec une sortie remaniée en 3D! Gageons que le rendu stéréoscopique des merveilleux fonds marins de ce chef-d’œuvre du cinéma d’animation moderne sera à la hauteur!
Saluons une fois encore l’intelligence des Studios Pixar qui témoigne d’un respect bien réel du jeune spectateur. En effet, les pérégrinations du petit poisson-clown démontrent que les enfants participent à l’éducation de leurs parents… Père traumatisé par la mort de sa femelle, Marin élève son unique rejeton dans un climat de crainte perpétuelle.
En réaction, Nemo s’aventure plus loin que de sagesse… Capturé par des plongeurs, l’imprudent se retrouve alors dans l’aquarium exotique qui trône dans le cabinet d’un dentiste. Advient alors l’inversion qui donne au «Monde de Nemo» tout son sel marin: c’est le papa peureux qui devra accomplir un voyage initiatique pour sauver son fiston…
Adeline Stern
Au-delà des collines
Palme d’or en 2007 avec «4 mois, 3 semaines, 2 jours», l’histoire d’un avortement clandestin sous Ceausescu, le réalisateur roumain Cristian Mungiu s’est inspiré pour son nouveau film d’un fait-divers qui s’est déroulé en Moldavie il y a quelques années et a ému le pays tout entier.
Alina rend visite à Voichita, son amie de cœur qui a embrassé la religion. Elle voudrait la convaincre de quitter les ordres, pour venir s’installer en Allemagne avec elle. Essuyant un refus, Alina se révolte alors contre l’autorité de l’higoumène qui, selon elle, tient Voichita sous sa coupe. Convaincues qu’elle est possédée par le Malin, les religieuses du monastère décident de soumettre Alina à un exorcisme…
Avec le concours de deux jeunes actrices prodigieuses, le cinéaste dénonce l’obscurantisme religieux, mais s’élève aussi contre les aberrations d’un système hospitalier hérité des années communistes… Un vrai film d’épouvante, ancré dans un réel hélas très identifiable!
Vincent Adatte