Journal d’une femme de chambre
Paru en 1900, le roman d’Octave Mirbeau fit sensation en décrivant la condition des domestiques comme « une forme d’esclavage moderne ». Après Jean Renoir en 1946, et Luis Buñuel en 1964, le réalisateur de « Trois cœurs » et des « Adieux à la Reine » s’en empare à son tour, mais en vouant au texte d’origine une fidélité dont n’avaient pas fait preuve ses deux glorieux prédécesseurs.
Célestine est jugée comme une employée arrogante parce qu’elle ne passe pas tous leurs caprices à ses patrons libidineux, qui considèrent souvent les jeunes femmes de sa condition comme des travailleuses du sexe à domicile. Placée en Normandie chez les Lanlaire, elle va aller « du pire au pire », dès lors qu’elle ne peut faire autrement…
Expert du film à costumes offrant un reflet véridique d’une époque, Benoît Jacquot a confié le rôle de Célestine à Lea Seydoux qui lui insuffle toute l’énergie de sa jeunesse. Pleine de charisme, son interprétation confère à ce film remarquable une résonance très contemporaine !
Vincent Adatte
Diversion
Le très élégant Nicky (Will Smith) est passé maître dans l’art de l’escroquerie décontractée. Tout dérape le jour où ce filou de grande classe décide d’apprendre les ficelles du métier à Jesse (Margot Robbie), une belle apprentie si douée qu’il craint l’entourloupe côté cœur. Pour le bien de chacun, Nicky décide alors de couper les ponts.
Trois ans plus tard, Jess est devenue une arnaqueuse de haut vol, au point de concurrencer son ex-mentor sur son propre terrain. Entre numéros de séduction, tromperies éhontées et tours de passe-passe, les deux aigrefins vont alors se défier, non sans arrière-pensées amoureuses, avec pour enjeu des bijoux d’une valeur inestimable…
Comédie policière très cool et plutôt sexy, « Diversion » égare à plaisir le spectateur dans un jeu de dupes assez bluffant. En résulte une savoureuse partie de poker menteur, jouée à toute berzingue sur le mode ludique du « je te tiens, tu me tiens » !
Adeline Stern
Spartiates
Primé à très juste titre à Soleure, le documentaire du réalisateur genevois Nicolas Wadimoff («Opération Libertad») montre comment un jeune moniteur de MMA (pour «Mixed Art Martial») initie les enfants d’un quartier difficile de Marseille à ce sport de survie à la violence parfois insoutenable, qu’il transforme de façon étonnante en école du respect et de la tolérance. Champion de France de la spécialité, partisan d’une pédagogie parfois très musclée, Yves Sorel a déterminé lui-même les règles du jeu social. Avec une abnégation remarquable, sans aucune aide des pouvoirs publics, il transmet à ses ouailles parfois égarées des valeurs éducatives auquel il croit, qui leur permettront peut-être de survivre dans leur quartier. Empli de paradoxes dérangeants, ce film à la fois âpre et très attentionné suscite un questionnement des plus fécond.
Still Alice
En VF : Vendredi 17 avril à 20h30
En VO sous-titrée : Samedi 18 avril à 18h00 / Dimanche 19 avril à 20h30
Mère de trois enfants et épouse comblée, Alice Howland (Julianne Moore) mène une brillante carrière comme professeur de linguistique à l’Université de Columbia, jusqu’au jour où, au beau milieu d’une phrase, elle perd subitement ses mots… Le diagnostic révèle une forme précoce de la maladie d’Alzheimer. Non content de lui dévorer le cerveau, le mal qui l’accable pourrait bien être héréditaire, ce qui met ses proches à l’épreuve…
Lui-même atteint d’une sclérose latérale amyotrophique qui le prive de parole, Richard Glatzer réalise avec son partenaire et cinéaste indépendant Wash Westmoreland une ode poignante au moment présent et à la vitalité désespérée, adaptée du roman de la neuroscientifique américaine Lisa Genova.
S’attachant à décrire la lutte obstinée que mène sa protagoniste pour tenter de surmonter sa maladie, les deux cinéastes jettent un regard neuf et jamais apitoyé sur un sujet délicat souvent par trop maltraité au cinéma… Une réussite qui serre le cœur!
Vincent Adatte
Pourquoi j’ai pas mangé mon père (2D) ou (3D)
En 3D : Mercredi 15 avril à 20h00 / Samedi 18 avril à 20h30
En 2D : Jeudi 16 avril à 20h00 / Dimanche 19 avril à 18h00
Très librement adapté du célèbre roman de l’économiste et écrivain anglais Roy Lewis, paru en 1960, le premier long-métrage de l’humoriste Jamel Debbouze constitue une véritable audace. Il a en effet été réalisé selon la technique de la «motion capture» permettant de restituer une image virtuelle à partir de mouvements produits par un acteur.
A nul autre pareil, ce film d’animation ancre son propos dans une ère préhistorique qui n’est pas sans faire penser à notre temps présent fort problématique… Fils aîné du roi des simiens, Edouard (la voix et les gestes de J. Debbouze) est rejeté dès sa naissance par sa tribu à cause de sa constitution chétive.
Loin des siens, l’infortuné réussit à survivre en compagnie de son ami Ian. D’une ingéniosité et d’une intelligence redoutables, il découvre alors moult inventions (le feu, la chasse, l’habitat et même l’espoir) qui vont faire évoluer son espèce vers une humanité où l’on ne mange plus son père… Tendre et incisif comme Jamel!
Adeline Stern
Citizenfour
Cinéaste documentaire américaine aussi intègre que remarquable, Laura Poitras boucle avec «Citizenfour» une trilogie dont le premier volet portait sur les excès de la guerre antiterroriste en Irak, alors que le second donnait une image guère séduisante de la «base» de Guantánamo.
En juin 2013, Edward Snowden fuit les Etats-Unis, emportant avec lui une somme de documents informatiques, dont les révélations vont déclencher un scandale mondial à propos des pratiques de surveillance de la toute-puissante agence de renseignement américaine NSA. Le lanceur d’alerte se réfugie à Hongkong où il convoque des journalistes, dont Laura Poitras.
Pendant plusieurs jours, la réalisatrice va capter ce moment historique de journalisme civique, avec, à la clef, un film absolument passionnant, à très haute tension véridique. Salué par la critique américaine, «Citizenfour» (le nom de code de Snowden) vient de remporter un Oscar du meilleur documentaire des plus mérités!
Vincent Adatte
Selma
Coproduit par l’animatrice de télévision Oprah Winfrey, le troisième long-métrage de la réalisatrice afro-américaine Ava DuVernay retrace la campagne lancée par Martin Luther King dans la petite ville de Selma, en Alabama, pour protester contre l’interdiction faite aux Noirs de voter dans le sud des Etats-Unis.
Cette campagne connut un terme brutal le 7 mars 1965 à Montgomery, capitale de l’Etat, où la police, blanche et raciste, s’attaqua de la façon la plus violente aux manifestants pacifiques. Diffusées dans le monde entier, les images de ce «Bloody Sunday» eurent pour effet d’accélérer le processus politique. A peine cinq mois plus tard, le Congrès votait une loi accordant aux Noirs le droite de vote.
Réalisatrice en 2012 d’un second long-métrage remarquable («Middle Of Nowhere») resté inédit en Europe, DuVernay retrace dans «Selma» ces événements primordiaux avec une belle sobriété, à l’exemple de l’interprétation de David Oyelowo qui campe un Martin Luther King impressionnant.
Adeline Stern
Cendrillon
Avec près d’une soixantaine d’adaptations, le conte retranscrit par Charles Perrault a fasciné les cinéastes, dont Georges Méliès en 1899. Réalisé par le réalisateur britannique Kenneth Branagh («Beaucoup de bruit pour rien», «Frankenstein», «Thor», etc.), cette version constitue le remake «live» du dessin animé produit par les studios Disney en 1950.
Quelques années après la mort de sa mère, Ella (Lily James) autorise son père à se marier avec Lady Tremaine (Cate Blanchett merveilleusement odieuse) et à accueillir dans leur ravissante maison ses deux filles Anastasia et Javotte. Hélas, peu après la noce, son père bien-aimé est emporté par une maladie foudroyante et sa belle-mère ne tarde guère à révéler son vrai visage…
Relecture somptueuse et très respectueuse de l’un des classiques de notre enfance, la «Cendrillon» de Branagh possède des accents contemporains, sans pour autant verser dans le cynisme et le sarcasme… Bref, du grand spectacle pour toute la famille!
Adeline Stern
Fast & Furious 7
Lancée dès 2001, la franchise «Fast And Furious» connaît un succès planétaire pétaradant, à la longévité étonnante, au point de jouir aujourd’hui du financement généralement dévolu aux «blockbusters». Pour mémoire, elle constitue une résurgence d’un sous-genre cinématographique apparu aux Etats-Unis dans la seconde moitié des années cinquante.
Le septième chapitre de cette saga au carénage impeccable coproduite par les Etats-Unis et le Japon relate la vengeance ourdie par l’odieux Deckard Shaw (Jason Statham), bien décidé à faire payer la mort de son frère à la bande du sculptural Dominic Toretto (Vin Diesel).
Tourné par le cinéaste sino-malaisien James Wan, délocalisé en partie à Tokyo et dans un Moyen-Orient très tendance, ce film d’action vrombissant présente, entre autres morceaux de bravoure, un largage d’automobiles depuis un avion-cargo (réalisé sans effets spéciaux) et une baston en dessous affriolants opposant Mesdames Michelle Rodriguez et Ronda Rousey… Pas une seconde à perdre, direction le Royal ! Vrooom, vroum, brooooum…
Adeline Stern
Big Eyes
Dans la lignée de «Ed Wood» (1994), sublime portrait du pire cinéaste de l’histoire, le dix-septième long-métrage de Tim Burton s’attaque à une nouvelle imposture artistique… Au milieu des années cinquante, apparurent sur les murs d’une boîte de jazz de San Francisco des tableaux d’enfants tristes aux yeux démesurés («big eyes»).
Publiciste de génie et signataire des tableaux, Walter Kane (Christoph Waltz, prodigieux) va gagner des millions de dollars avec ces œuvres affligeantes et méprisées par l’establishment artistique. Un divorce (en 1965) et un procès (en 1970) plus tard, la supercherie est dévoilée, plongeant dans la tourmente médiatique une petite femme blonde (Amy Adams), épouse malheureuse de Walter et véritable auteur des tableaux…
Le réalisateur de «Edward aux mains d’argent» et de «Frankenweenie» décrit à merveille l’agonie de ce couple empêtré dans son mensonge, injectant dans l’hédonisme qui prévaut à l’époque le poison lent et insidieux de la défiance… Du grand art!
Vincent Adatte