7h58, ce samedi là
Chef de file du cinéma américain engagé des années soixante et septante, le vétéran Sidney Lumet fait un retour fracassant avec un thriller psychologique de très grande tenue. Dans la banlieue de New York, deux malfrats masqués dévalisent une bijouterie. Le hold-up tourne mal et l’un des malfaiteurs abat la propriétaire. Anéanti, Charles Hanson (Albert Finney), le mari de la victime, se jure de retrouver les auteurs du crime.
Par le biais d’une structure temporelle subtile et angoissante, qui adopte successivement trois points de vue, le spectateur les identifie bien avant le malheureux Charles. Il s’agit de ses propres fils, Hank le paumé (Ethan Hawk) et Andy (Philip Seymour Hoffman), le battant à qui soi-disant tout réussit. La situation prend alors un tour d’une complexité vertigineuse. L’étau se resserre peu à peu autour des deux frères et met à nu le dérèglement qui caractérise une famille apparemment respectable.
Avec un métier résultant d’une expérience cinématographique de plus de 50 ans, Lumet confère à ce thriller des allures de tragédie grecque sans jamais céder sur le rythme, hallucinant d’efficacité. Avec à la clef une œuvre d’un pessimisme absolu, qui condamne sans appel un modèle de société dévoyé au point de nier les valeurs les plus élémentaires.
Vincent Adatte
Le Silence de Lorna
Prix du scénario au dernier Festival de Cannes, le nouveau film de Luc et Jean-Pierre Dardenne reste fidèle à leur manière. Sans prendre de gants, ni céder aux bons sentiments, les deux frères continuent à creuser l’interrogation fondamentale qui est à la base de leur œuvre indispensable: comment préserver notre humanité dans un monde qui la dévalue à ce point?
Jeune émigrée albanaise, Lorna (Arta Dobroshi) a obtenu la nationalité belge après avoir fait un mariage blanc avec Claudy (Jerémie Régnier), héroïnomane en mal d’argent. Véritable épave humaine, ce dernier ignore qu’il n’est qu’un pion dans une sale combine échafaudée par Fabio (Fabrizio Rongione), un chauffeur de taxi dénué de tous scrupules. Devenue belge, Lorna est désormais disponible pour épouser à son tour un immigré en quête de nationalité européenne. Reste à se débarrasser de Claudy, par le biais d’une discrète overdose…
Tout semble joué d’avance, mais des imprévus surgissent: Claudy entreprend une cure de désintoxication, sans doute par amour pour Lorna. Elle, elle ne l’aime pas, mais se sent prête a tout pour lui épargner ce sort fatal… Comme toujours, les Dardenne réussissent de façon sidérante à fusionner le romanesque et l’actualité la plus brûlante.
Adeline Stern
Avec Arta DOBROSHI, Jérémie RENIER, Fabrizio RONGIONE * Age légal 14 ans / suggéré dès 14 ans
Mamma Mia!
Avec plus de 370 millions de galettes vendues entre 1970 et 1982, ABBA appartient désormais à la légende de l’industrie du disque. En 1999, la dramaturge britannique Catherine Johnson avive la nostalgie en créant une comédie musicale qui inclut les plus grands succès du groupe suédois. Jouée de par le monde jusqu’en 2007, elle aura drainé près de trente millions de spectateurs enthousiastes!
Aujourd’hui, nous pouvons en chantonner l’adaptation cinématographique. Reprenant l’argument du spectacle, la réalisatrice Phyllida Lloyd nous transporte sur une île de la Grèce idyllique. Exilée dans ce lieu romantique à souhait, une Américaine y tient un restaurant haut de gamme. Mère joyeusement célibataire, Donna (Meryl Streep) invite pour le mariage de sa fille Sophie (Amanda Seyfried) ses deux meilleures amies avec lesquelles elle formait par le passé le fameux trio «Donna et les Dynamos».
Voulant connaître l’identité de son père à la veille de l’un des événements parmi les plus importants de sa vie, la juvénile Sophie lance de son côté et en secret des invitations à trois ex-flirts de sa mère dont l’un pourrait bien être son «géniteur», à en croire le journal intime de Donna, mais reste à savoir lequel… Sam (Pierce Brosnan), Harry (Colin Firth) ou Bill (Stellan Skarsgard)?
Vincent Adatte
Avec Colin FIRTH, Meryl STREEP, Pierce BROSNAN
Hallam Foe
Après un générique faussement naïf, le spectateur découvre le protagoniste complexe du quatrième long-métrage du cinéaste écossais David Mackenzie. A dix-sept ans, le pauvre Hallam Foe (Jamie Bell) ne se remet pas de la mort de sa mère. Depuis sa disparition, il passe le plus clair de son temps à espionner ses proches, dont sa marâtre qu’il a en détestation.
Quittant le manoir familial perdu dans les landes pour rallier la grande ville d’Edimbourg, Hallam s’éprend d’une femme qui ressemble étrangement à sa mère. Animé par une pulsion voyeuriste irrésistible, le jeune homme s’aventurera sur les chemins tourmentés de la déviance. Adapté d’un roman de Peter Jinks, ce film fascinant évoque les grandes obsessions hitchcockiennes (de Sueurs froides à Psychose en passant par Rebecca).
Révélé par Billy Elliot (2000), l’acteur Jamie Bell confère à son personnage une ambiguïté troublante, à la fois fragile moineau ébouriffé et immoral adolescent un brin pervers, il en devient alors tout à fait attachant. Après la réussite inquiétante de Young Adam (2004), David Mackenzie décrit dans Hallam Foe la part sombre qui est le lot de tout être humain. Chacun s’y reconnaîtra, c’est toute la force de ce cinéaste très singulier!
Adeline Stern
La Fille de Monaco
Star brillantissime du barreau, Maître Beauvois (Fabrice Lucchini) descend à Monaco pour défendre une veuve (Stéphane Audran) accusée d’avoir tué son amant d’origine russe qui s’est acoquiné avec la mafia. Pour protéger le défenseur de sa mère, son fils lui flanque dans les pattes un agent de protection rapproché joué à merveille par Roschdy Zem. Non sans peine, l’homme de loi doit alors partager son intimité avec un garde du corps dont le physique séducteur l’impressionne.
Un jour de pluie, l’avocat croise le chemin de la sémillante Audrey Varela (Louise Bourgoin), une trop jolie présentatrice de la météo, qu’il se met à désirer comme un fou. Au fil des jours, la demoiselle se fait toujours plus envahissante. Par chance, son garde du corps est là qui veille… Plus tragique qu’elle n’en a l’air, cette comédie consacre définitivement l’immense Lucchini qui, une fois n’est pas coutume, joue un personnage tout en retenue, dont le seul souci consiste à ne pas faire de vagues!
Vincent Adatte
Avec Fabrice LUCHINI, Roschdy ZEM, Louise BOURGOIN * Age légal 14 ans / suggéré dès 16 ans
Entre les Murs <b><i> "Avant-Première" </i></b>
Cinéaste discret, mais de grand talent, Laurent Cantet a créé la surprise en remportant avec Entre les murs la Palme d’Or du dernier festival de Cannes. Cette distinction n’est en rien usurpée, tant son film, sélectionné de dernière heure, convainc par son authenticité et sa simplicité.
Mi-documentaire, mi-fiction, le dernier film du réalisateur de Ressources humaines (2000) s’inspire du roman de François Bégaudeau, journaliste et écrivain, qui fut lui-même professeur de lycée. Elaboré dans le cadre d’ateliers d’improvisation, Entre les murs nous fait entrer dans un classe de quatrième d’un collège parisien. François Marin (F. Begaudeau) y enseigne le français. Joué par des jeunes tous non professionnels, le film décrit pour l’essentiel des cours qui, selon les cas, prennent un tour comique, polémique, voire violent, avec pour enjeu dramatique la possibilité ou non du dialogue.
Monsieur Marin veut à la fois séduire et s’imposer. Cette ambiguïté va l’amener à commettre une erreur d’appréciation que l’un de ses élèves va payer au prix fort… De façon magistrale, mais très lucide, Cantet et Bégaudeau pointent la contradiction majeure de l’école d’aujourd’hui, déchirée entre le souci de ne pas exclure et la volonté de maintenir la discipline.
Adeline Stern
Avec François Bégaudeau, Nassim Amrabt, Laura Baquela
Comrades In Dreams <b><i> "Avant-Première" </i></b
C’est vraiment le documentaire rêvé pour une Fête du cinéma! Réalisé par un jeune cinéaste allemand qui exploite lui-même une salle indépendante à Berlin, Comrades In Dreams (Camarades de rêve) rend un vibrant hommage aux petits cinémas qui, comme notre Royal, résiste tant que se peut à l’uniformisation, en privilégiant la dimension humaine du spectacle cinématographique.
Ulli Gaulk célèbre en parallèle l’engagement de quelques projectionnistes de par le monde, plus précisément au Burkina Faso, en Inde, aux Etats-Unis et en Corée du Nord. Que ce soit sous un chapiteau, les étoiles, dans une salle de village ou un centre de culture, Anup, Lassane ou Penny font partager au public leur passion pour le cinéma, sans chichis, mais avec tant d’émotion! Complice, le réalisateur va à leur rencontre en toute simplicité.
Si ce film chaleureux fascine jusqu’à la fin, les séquences consacrées à la Corée du Nord se révèlent uniques, exceptionnelles. Dans sa jeunesse, Han Yong Sil rêvait de devenir actrice. Quand cette projectionniste parle de sa vocation inaboutie, sa voix se voile. Devant la caméra de l’«étranger», Han laisse affleurer sa mélancolie, au contraire des films édifiants et policés qu’elle projette.
Adeline Stern
Documentaire * VO sous-titrée
La Mécanique des Anges
Parlez-Moi de la Pluie <b><i> "Avant-Première" </i
Un des films parmi les plus attendus de la rentrée cinématographique! Couple à la ville comme à l’écran, Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui œuvrent de concert depuis Cuisine et dépendances (1993). Parlez-moi de la pluie marque leur septième collaboration. Après Comme une image (2004) qui était un film plutôt sombre, Jaoui revient à la comédie, certes très grinçante, dans l’esprit du Goût des autres (2000).
Féministe convaincue, Agathe Villanova (jouée par la réalisatrice) s’est engagée en politique. Agathe revient pour dix jours habiter la maison de son enfance, dans le Sud de la France. Elle est non seulement là pour aider sa sœur à trier les affaires de leur mère décédée voilà déjà un an, mais aussi pour des raisons électorales: parité oblige, elle a été «parachutée» dans sa région natale (qu’elle déteste), en vue des prochaines élections.
Avec son ami Michel Ronsard (J.-P. Bacri), Karim (Jamel Debbouze), le fils de la femme de ménage algérienne des Villanova, entreprend de tourner un documentaire sur cette femme qui a réussi… S’inspirant à la fois d’une chanson de Brassens («Parlez-moi de la pluie et non du beau temps… ») et du philosophe existentialiste Kierkegaard, Bacri et Jaoui font un sort grinçant à l’humiliation ordinaire, par un temps de cochon très estival !
Vincent Adatte
Avec Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri, Jamel Debbouze