Le choix de Luna
Le deuxième long-métrage de la talentueuse réalisatrice de «Sarajevo mon amour» (2005) a pour titre original «Na Putu», ce qui signifie en bosniaque «être en quête»… Luna travaille comme hôtesse de l’air. Amar est contrôleur aérien de son métier.
Orphelins de guerre, ils sont amoureux l’un de l’autre, rêvent d’avoir un enfant pour surmonter leur passé. Las, un jour, le jeune homme, ancien combattant, se tourne vers le fondamentalisme musulman, au désespoir de Luna qui se voit propulsée dans un univers étriqué où les femmes vivent séparées des hommes.
Révulsée par ce mode de vie, la jeune femme manifeste son désaccord. Son hostilité grandissante ne fait que décupler l’intégrisme de son compagnon. Luna va alors être confrontée à un choix très difficile… Sans dogmatisme, la cinéaste Jasmila Zbanic décrit un processus insidieux, faisant preuve d’une sensibilité et d’une justesse de ton remarquables.
Adeline Stern
Rango
Dans la séquence d’ouverture de «Rango», un caméléon neurasthénique monologue dans son vivarium sur son devenir anonyme de triste animal de compagnie. Mais un brusque freinage le catapulte hors de la voiture qui l’emmenait vers d’autres horizons.
Suivant le conseil d’un vieux tatou écrabouillé par un camion, notre reptile s’enfonce alors dans le désert, «à la rencontre de son destin» et finit par arriver dans un bled paumé où l’eau est sévèrement rationnée. Beau parleur, désireux de «devenir enfin quelqu’un», le caméléon à la langue trop pendue fait croire aux citoyens assoiffés qu’il n’est autre que Rango, la légende de l’Ouest…
Le premier film d’animation de Gore Verbinsky constitue une parodie de western animalière des plus jouissives. Jouant de façon virtuose avec toutes les ressources de l’anthropomorphisme, le réalisateur de «Pirates des Caraïbes» y révèle un don étonnant pour le western-spaghetti de synthèse «al dente»…
Vincent Adatte
Même la pluie
Après le magnifique «Fleurs d’un autre monde» (1999), sur la survie du monde rural, et de l’indispensable «Ne dis rien» (2003), réquisitoire exemplaire dénonçant les violences faites aux femmes, la cinéaste espagnole Icíar Bollaín prend la défense des peuples dits indigènes avec une rare intelligence.
Fruit d’une collaboration avec Paul Laverty, le scénariste de Ken Loach, «Même la pluie» («También la lluvia») raconte le tournage d’un film censé évoquer les figures historiques de Las Casas et Montesinos, deux prêtres qui s’élevèrent contre l’asservissement et le massacre des autochtones perpétrés par les conquistadors.
Pour des raisons d’économie, le producteur du film a contraint Sebastian (Gael García Bernal), réalisateur persuadé de son génie, de transposer les Caraïbes originelles en Bolivie, dans la campagne verdoyante qui jouxte Cochabamba, grande cité percluse de misère. Mais le réel ne va pas tarder à rattraper la soi-disant vérité historique… Un des films les plus touchant et juste de l’année !
Adeline Stern
Black Swan
A ce jour, le film dit de ballet, ne comptait qu’un seul chef-d’œuvre, l’extraordinaire «Les Chaussons rouges» (1948). Il faudra désormais lui ajouter «Black Swan» qui partage avec le film des Anglais Michael Powell et Emeric Pressburger le même goût pour le foisonnement visuel et une confusion sublime et mortifère entre l’art et la vie…
Ballerine au New York City Ballet, Nina Sayers (Natalie Portman) espère se voir confier le premier rôle du «Lac des Cygnes». Elle remplacerait la danseuse étoile Beth Mcintyre (Winona Ryder) que Thomas Leroy (Vincent Cassel), directeur artistique de la troupe, juge trop vieille pour l’emploi.
Ambivalent, l’argument de ce ballet légendaire exige de son interprète qu’elle maîtrise un double rôle, celui du Cygne blanc, tout de grâce et d’innocence, et celui du Cygne noir, agrégat détonnant de sensualité et de rouerie… Un thriller chorégraphié à la lisière du fantastique signé Darren Aronofsky, avec une Portman en état de grâce maléfique (Oscar de la meilleure actrice).
Vincent Adatte
La Petite Chambre
Le dimanche 3 avril, le CSSC offre généreusement à la population, l’entrée à ce film. Une discussion suivra la projection en présence de Stéphanie Chuat et du Dr Daher.
Vieillard revêche et farouchement indépendant, Edmond (Michel Bouquet) refuse de se laisser «enfermer» par son fils dans un établissement médico-social. Il ne traite guère mieux l’infirmière à domicile qu’on lui envoie en désespoir de cause. Rose (Florence Loiret Caille) a du métier, mais elle cache elle-même une fêlure intime qui va la faire entrer en profonde empathie avec ce représentant irascible du quatrième âge, qui ne peut se résoudre à sa disparition…
Au bénéfice d’une complicité de longue date, les deux coréalisatrices suisses ont réussi à s’entourer d’acteurs éblouissants qui donnent à ces événements de la vie ordinaire une «épaisseur fragile» sans pareille.
S’appropriant le rôle d’Edmond, comme s’il devait être le dernier, l’octogénaire Michel Bouquet, ce monstre sacré du cinéma et du théâtre français, fait ainsi montre d’une présence inoubliable… La «palme du cœur» du dernier festival de Locarno!
Vincent Adatte
Tron
En 1982, le réalisateur Steven Lisberger sortait l’Usine Disney de sa routine en réalisant en ses studios la première superproduction en partie réalisée par ordinateur. On y découvrait le concepteur de jeux vidéos Kevin Flynn (Jeff Bridges) propulsé dans son propre programme où il était contraint de participer à des joutes ludiques et meurtrières.
Presque trente ans plus tard, voilà que l’on donne une suite à l’ouvrage incompris! Ce n’est que justice en regard du tout numérique qui prévaut aujourd’hui à Hollywood!
Par inadvertance, le fiston réussit à dépoussiérer le vieil ordinateur de papa, jusqu’à se faire projeter à son tour dans l’univers virtuel de «Tron». Il y retrouve son paternel qui résiste à son double maléfique et sans âge depuis près de trois décennies! Dans l’intervalle, les programmateurs ont fait de sacrés progrès et les «jeux du cirque» qui attendent les protagonistes sont donc autrement sophistiqués!
Adeline Stern
Poupoupidou
L’action intrigante de cette comédie policière est située à Mouthe, village franc-comtois frigorifié de 975 âmes, situé à cinq kilomètres de la frontière helvétique, qui dispute régulièrement à La Brévine le record de gelures hivernales.
Un écrivain de polars en panne d’inspiration vient toucher un héritage dans ce «bled paumé» où il a passé son enfance. En route, il croise des policiers qui sont en train d’embarquer le cadavre d’une jeune femme blonde. Détail qui a son importance, son corps a été retrouvé dans une zone de «no man’s land» entre les frontières suisses et françaises, empêchant toute investigation officielle. Le romancier flaire aussitôt l’embryon d’une «bonne» histoire…
En enquêtant, il apprend que la jeune femme était une célébrité locale dont l’effigie orne les boîtes de fromage. Mieux encore, la malheureuse s’identifiait complètement à Norman Jean Baker, alias Marilyn Monroe… L’humour givré de «Poupoupidou» est un pur délice, à déguster sans modération!
Adeline Stern
Au-delà
Décidément, Clint Eastwood a l’art de surprendre! A quatre-vingts ans passés, le réalisateur de «Gran Torino» flirte avec le fantastique pour évoquer de façon profonde notre rapport à l’au-delà, autant que le monde où se cherchent les vivants.
A travers trois histoires dont les protagonistes ont tous affaire à la mort, le cinéaste noue et dénoue des destinées qui prouvent surtout la nécessité de créer des liens avec autrui. Vedette de la télévision française, Marie a réchappé du tsunami (reconstitué de façon saisissante). A Londres, le jeune Marcus ne parvient pas à se remettre de la disparition subite de son jumeau. Du côté de San Francisco, George croit avoir le pouvoir de communiquer avec les défunts, mais s’en garde bien…
Procédant par résonances et échos, Eastwood suit avec maestria ces trois trajectoires simultanées, délivrant un mélodrame d’une grande et belle densité qui nous réconcilie avec la vie, au sens le plus fort du terme!
Vincent Adatte
Illégal
Le dimanche 20 mars, le film sera précédé, dès 19h, d’un repas de soutien à l’association KADER.
Présenté au dernier Festival de Cannes, dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs, le deuxième long-métrage du cinéaste belge Olivier Masset-Depasse a fait l’effet d’un coup de poing.
D’origine russe, une femme et son fils de quatorze ans vivent dans la clandestinité en Belgique. Depuis huit ans, Tania s’efforce de tenir, toujours sur le qui-vive, entre emplois précaires et déprime. Un jour, au hasard d’un banal contrôle d’identité dans la rue, elle est arrêtée et placée dans un centre de rétention.
Avec l’énergie du désespoir, Tania va alors de se battre pour retrouver son fils hébergé chez une amie et échapper au rapatriement forcé qui l’attend… Fruit d’une enquête très fouillée, le plus souvent filmé caméra à l’épaule, «Illégal» tire son formidable impact d’une approche quasi documentaire. Une œuvre poignante qui témoigne d’une réalité qui est hélas aussi la nôtre!
Adeline Stern
Les Chemins de la liberté
Tiré d’un fait authentique, le treizième long-métrage du réalisateur du «Cercle des Poètes Disparus» retrace la cavale insensée de six hommes échappés d’un goulag sibérien en 1940. Proche du récit relaté en 1956 par l’un des évadés, l’officier de cavalerie polonais Slawomir Rawicz, le cinéaste raconte cette «épopée» avec une rare sobriété.
Dans des conditions souvent épouvantables, les fuyards vont parcourir près de dix milles kilomètres à pied, tenaillés par le froid, la faim, la peur et les ampoules. Pour échapper aux Soviétiques et aux Nazis, ils devront emprunter un itinéraire inédit, via le désert de Gobi et le Tibet, avant de franchir l’Himalaya, pour se réfugier en Inde, pays relativement épargné par la guerre.
Sans effets de manche, Weir décrit le sentiment de fraternité qui se développe peu à peu entre les rescapés qui voient dans leur survie obstinée l’unique moyen de témoigner contre l’innommable.
Vincent Adatte