Coup de Foudre à Bollywood
Cinéaste anglaise d’origine indienne, Gurinder Chadha a fait ses débuts à la télévision (BBC et Channel Four) où elle s’essaye au documentaire. En 1994, elle tourne pour le cinéma son premier film de fiction, Bhaji On The Beach (Une balade à Blackpool), aux accents déjà très féministes. Après What’s Cooking? (2000), une comédie multiculturelle tournée à Los Angeles, Chadha revient en Angleterre pour réaliser Joue-la comme Beckham (2002) qui lui vaut une consécration internationale.
Forte de ce succès, la cinéaste rallie alors Bombay et les studios de Bollywood avec, dans sa valise, une adaptation très audacieuse du roman Orgueil et préjugés de l’écrivain britannique Jane Austen (1775-1817). Toujours très populaire en Angleterre, ce livre féministe avant l’heure a encore, selon la réalisatrice, toute son actualité en Inde où la tradition du mariage arrangé est encore très vivace.
L’honorable Madame Bakshi n’a qu’une idée en tête: marier les deux aînées de ses quatre filles à des hommes riches et indiens! Jaya se laisse imposer son mari. Plus indépendante, Lalita se cabre, car elle veut choisir elle-même l’heureux élu… En résulte, un spectacle flamboyant qui renouvelle complètement la formule plutôt machiste des comédies bollywoodiennes.
Vincent Adatte
Sideways
Age légal 12 ans / suggéré dès 16 ans
Divorcé depuis plusieurs années, Miles (Paul Giamatti) est hanté par le souvenir de son ex-femme. Obscur écrivain, impubliable, malgré tous les efforts de son agent, ce pauvre hère est miné par un sentiment d’échec permanent.
Pour quelques jours, Miles prend le large avec son meilleur ami, Jack (Thomas Haden Church), un acteur de troisième zone, sur le point de se marier avec un très bon parti. Avant de rentrer dans le rang, Jack souhaite «enterrer sa vie de garçon» de manière intensive. Amateur de vins averti, Miles entraîne son camarade sur les routes viticoles de Californie, bien décidé à lui faire sentir «toute» la différence entre le pinot noir (qu’il vénère) et le merlot (qu’il trouve vulgaire)…
Caractéristique du cinéma indépendant américain, «Sideways» («De côté») met cruellement en bouteille un certain snobisme made in USA qui consiste à opposer le bon goût «européen» à l’uniformisation «américaine». En fait, Miles et Jack se payent de mots, car tant l’un que l’autre sont parfaitement incapables d’échapper au conformisme ambiant.
Pour décider ceux qui hésiteraient encore à venir découvrir ce petit bijou de comédie millésimé, nous vous proposons de déguster à la sortie quelques crus de notre choix… Discuter d’un bon film, le verre à la main, quoi de plus délectable!
Adeline Stern
Le Couperet
Age légal 16 ans / suggéré dès 16 ans
Cinéaste très engagé dès les années septante, Costa-Gavras a signé des chef-d’œuvres comme L’Aveu, Z ou encore Missing (Palme d’Or à Cannes en 1981). Relativement discret durant la dernière décennie, il a fait un retour très remarqué en 2002 grâce à Amen. Il s’attaque aujourd’hui aux dérives de l’ultralibéralisme avec Le couperet, une comédie noire dont personne ne sortira indemne.
Malgré quinze ans de bons et loyaux services, un cadre supérieur, père de famille perd son emploi à cause de l’une de ces fusions dont l’économie de marché a le secret. Après deux ans de chômage passés à envoyer des CV, à ruminer, à contenir son angoisse, Bruno Dalvert (José Garcia) se décide à réagir, réglant de manière radicale le problème de la concurrence qui fait rage lors des entretiens d'embauche…
Acteur de très grand talent, José Garcia a enfin trouvé dans «Le couperet» un rôle à sa mesure. Sa performance est vraiment sidérante, au point que tout un chacun se retrouvera un peu dans ce «monsieur tout le monde» qui, du jour au lendemain, entre en guerre contre ses compagnons de misère, oublieux de toute solidarité, à la plus grande satisfaction du système qui l’a pourtant rejeté! De quoi nous faire réfléchir…
Pascal Maeder
L’Esquive
Age légal 12 ans / suggéré dès 12 ans
Grand vainqueur de la trentième édition des «César» avec quatre récompenses et non des moindres («Meilleur film», «Meilleur réalisateur», «Meilleur scénario» et Meilleur espoir féminin pour Sara Forestier), L’esquive du cinéaste français d’origine tunisienne Abdellatif Kechiche ressort sur nos écrans, auréolé d’un prestige nullement usurpé.
Déjà lauréat d’un Lion d’or de la meilleure première œuvre à Venise en 2000 avec La faute à Voltaire, Kechiche a plus que mérité ces honneurs tout de même assez surprenants en regard des «poids très lourds» qui concouraient dans la même catégorie (Les choristes et Un long dimanche de fiançailles). Les «professionnels de la profession» (pour reprendre la savoureuse expression de Jean-Luc Godard) ne s’y sont pas trompés: L’esquive est bel et bien l’un des films français les plus indispensables du moment !
Dans un lycée de banlieue, Krimo s’efforce de séduire Lydia. Pour ses beaux yeux, il se risque à jouer Arlequin, l’un des quatre personnages principaux du Jeu de l’amour et du hasard, la pièce que Lydia répète pour la fête de la fin de l’année scolaire… La tchatche «verlanisée» des «deubans» (bandes) et le dialogue ciselé en 1730 par Marivaux se télescopent de façon inouïe, témoignant de l’étonnante inventivité langagière des futurs exclus de nos radieuses sociétés.
A voir ou à revoir… sans délai!
Vincent Adatte
Le Château ambulant
Le maître du dessin animé japonais a encore frappé! Après «Le voyage de Chihiro», l’alchimiste du manga Hayao Miyasaki prolonge son sortilège avec un merveilleux «Château ambulant». Jeune fille morose, Sophie s’active sans relâche dans la boutique de chapelier que tenait son père avant de mourir. Lors d’une de ses rares sorties en ville, elle fait la connaissance du magicien Hauru, un être très séduisant qui a hélas perdu son cœur pour avoir avalé une étoile filante…
Témoin de la rencontre, une affreuse sorcière se méprend sur leur relation. Folle de jalousie, elle jette un sort carabiné à la pauvre Sophie: en une fraction de seconde, la voilà qui vieillit de septante ans! Au comble du désespoir, notre héroïne toute voûtée s’enfuit dans les landes désolées. Dans son errance, elle tombe par hasard sur le château ambulant de Hauru. Cachant sa véritable identité, Sophie s’y fait engager comme femme de ménage…
Chut, n’en disons pas plus, sinon qu’il vaut vraiment la peine de s’aventurer dans cet univers fantasmagorique à nul autre pareil! Contrairement à Sophie, nul doute que le spectateur ne devienne très vite une victime délicieusement consentante des charmes de Miyazaki l’enchanteur…
Francine Pickel
Ma famille africaine
Le couple mixte est-il une utopie trop dure à vivre? Mariée à une Africaine originaire de Côte d’Ivoire, le jeune cinéaste zurichois Thomas Thümena apporte un éclairage passionnant sur cette question délicate, en lui consacrant ce que l’on appelle entre initiés un «auto-documentaire».
Ce nouveau type de récit cinématographique est lié à l’apparition des petites caméras numériques qui a entraîné une baisse spectaculaire les coûts de production. Avec très peu de moyens, un réalisateur qui sait ce qu’il se veut est désormais en mesure de réaliser un vrai film en toute indépendance. Cette revalorisation du regard personnel incite nombre de réalisateurs à filmer leurs propres vies.
C’est justement ce qu’a fait Thomas Thümena en filmant son couple avec un ton pince-sans-rire très approprié (et parfois l’aide d’un tiers). Jamais complaisant, encore moins narcissique, Ma famille africaine révèle un aspect intime et très peu angélique du rapport nord-sud. Ce «home-movie» d’un genre inédit sera suivi d’un débat sur le thème. A découvrir… Absolument !
Adeline Stern
Million Dollar Baby
Age légal 12 ans / suggéré dès 14 ans
Même si l’on déteste la boxe, le nouveau film couronné d’oscars du réalisateur de Mystic River est un sacré uppercut qui touche au cœur!
Frankie Dunn (Clint Eastwood) est un vieil entraîneur désabusé qui végète dans son gymnase, quand il n’est pas à l’église où il tente de comprendre pourquoi sa fille ne répond plus à ses lettres… Taraudée par la culpabilité, cette âme en peine supporte la compagnie d’Eddie (Morgan Freeman), un ancien champion qui traîne chez lui en tant que concierge. C’est dans cette ambiance que débarque la très déterminée Maggie Fitzgerald (Hilary Swank). Issue d’un milieu défavorisé, cette jeune femme âgée de trente et un ans a déjà une revanche à prendre sur la vie… Maggie veut gagner, devenir championne du monde! Dans un premier temps, Frankie refuse de l’entraîner, prétextant à juste titre qu’elle est trop âgée. En son for intérieur, il la juge surtout bien trop revancharde pour réussir à s’en tirer…
Ce qui va alors arriver, nous le tairons, car cela reviendrait à déflorer ce chef-d’œuvre qui prend lentement mais sûrement une ampleur extraordinaire. Dans l’esprit de la saga des Rocky, Million Dollar Baby repasse par les habituels lieux communs du film dit «de boxe» qui retrace en général l’irrésistible ascension d’un champion incarnant les valeurs de l’Amérique. Quand, sans crier gare, le cinéaste bifurque et entraîne le récit dans une toute autre dimension! Toujours aussi insaisissable, Eastwood, auteur indispensable d’Un monde parfait, nous rappelle à notre devoir d’indépendance.
Vincent Adatte
Neverland
Age légal 7 ans / suggéré dès 10 ans
Il n’y a pas d’âge pour rêver sa vie! Après le déchirant «A l’ombre de la haine» (2002) qui valut un Oscar à Halle Berry, le cinéaste suisse d’origine Marc Foster réussit son examen de passage à Hollywood avec un film qui réveille merveilleusement toute une part d’enfance enfouie en nous. «Neverland» évoque les circonstances et la genèse de la création du «Peter Pan» de James Matthew Barrie, «l’homme qui ne voulait pas grandir».
Nous sommes en 1904 à Londres, James Matthew Barrie (joué par un Johnny Depp en état de grâce) connaît un revers dans sa carrière d’auteur dramatique, alors que son mariage bat de l’aile. Sa dernière pièce est mal accueillie par le public snob de la capitale britannique. Pressé par le directeur du théâtre (Dustin Hoffman) d’en écrire une autre au plus vite, Barrie trouve l’inspiration auprès des quatre enfants d’une jeune veuve (Kate Winslet) croisée dans le parc. En jouant avec eux, il invente peu à peu le pays magique de Neverland…
A la fois enchanteur et mélancolique, à mille lieux des superproductions tapageuses si chères à Hollywood, «Neverland» a été primé au dernier Festival de Venise et a reçu l’Oscar de la Meilleure Musique… Seulement ? Serait-on tenté d’écrire en regard de la profonde sensibilité de ce film rêveur!
Adeline Stern
Boudu
Age légal 12 ans / suggéré dès 14 ans
Aix-en-Provence, une nuit de printemps. Galeriste surendetté, Christian (Gérard Jugnot) sauve Boudu (Gérard Depardieu), un SDF qui tentait de se noyer. Héros malgré lui, il ramène le désespéré chez lui pour quelques heures. L’irruption ô combien incongrue de Boudu va semer une belle pagaille dans l’existence tout en façade de Christian.
La neuvième comédie de l’acteur et cinéaste Gérard Jugnot est en fait une nouvelle version de «Boudu sauvé des eaux» (1932), chef d’œuvre de Jean Renoir avec un Michel Simon inoubliable dans le rôle-titre. Du film de Renoir, Jugnot n’a gardé que le thème qui reste complètement actuel: personnage haut en couleur, à la fois anarchiste et poétique, Boudu débarque dans un univers petit-bourgeois qu’il remet complètement en question par son comportement très peu convenable. Il agit comme un révélateur et, sans le vouloir ni même le savoir, dénoue les crises.
Selon Jugnot, il y a beaucoup de Depardieu dans le personnage de Boudu: «Gérard ne ferme pas la porte des toilettes, il se montre à poil, il est exhibitionniste, il lui arrive de péter... et en même temps, il est d'un charme, d'une distinction totale.» Toujours selon ses propres mots, l’auteur de «Monsieur Batignolle» cherche depuis ses débuts à faire des «films d’auteur grand public» qui mélangent tous les ingrédients de la vie: compassion, humanité, tendresse, humour, burlesque… Pari tenu? A vous de voir!
Adeline Stern
La Chute
Berlin, avril 1945 : l’Armée Rouge encercle et ravage la ville. Hitler, ses généraux et ses proches vivent les derniers jours du troisième Reich, terrés dans leur bunker… Historiquement exact, La Chute expose les souffrances du peuple allemand, provoquées par l'écroulement des rêves criminels de son Führer.
Les autres grandes interrogations sur le film viennent de ce qu’il n’expose pas, ou si peu: d’abord, la mort de millions d’êtres humains, à travers l’Europe et dans les camps. Ensuite, pourquoi ne pas montrer la mort d’Hitler, ni celle du couple Goebbels? Alors que quantité d’anonymes tombe devant nous, la caméra se détourne à l’instant où ces monstres avérés se donnent la mort. Résultat, le film ne les «tue» pas.
Idem, lorsqu’on nous fait le coup du bon médecin SS: comment oublier que les «bons docteurs» de son organisation ont mené des expériences monstrueuses sur des milliers de cobayes humains? Le cinéma allemand a attendu soixante ans avant d’oser filmer ainsi son histoire, mais sans pour autant réussir à se débarrasser de ses vieux démons.
Tout reste-t-il à faire?
Pascal Maeder
Avec Bruno GANZ, Alexandra MARIA LARA * Age légal 14 ans / suggéré dès 16 ans * VO sous-titrée